Magda B. a passé plusieurs semaines dans un "hotspot" comme volontaire auprès d’une ONG. Elle livre le récit du quotidien dans ces centres destinés à gérer les arrivées des demandeurs d’asile et migrants sur le territoire européen. Au fil des jours et des rencontres, Magda B. décrit un lieu où l'attente, l'ennui et aussi la violence accompagnent un parcours procédural long et incertain
Les opinions exprimées dans ce récit relèvent de la seule responsabilité de l'auteur
Georges arrive, plié entre ses doigts le petit post-it jaune que j’ai déjà vu à maintes reprises : c’est un rendez-vous avec l’EASO (Bureau européen d'appui en matière d'asile). Le papier a été griffonné et tendu à Georges à travers la double rangée de barbelés qui sépare l’enceinte qui protège l’EASO et le GAS (Greek Asylum Service) du reste du camp. Dans l’enceinte, on a d’un côté les containers de l’EASO, de l’autre ceux du GAS, moins nombreux, et au milieu une dizaine de rangées de bancs. Chaque jour deux cent personnes environ s’y agglutinent.
La « Section D1 » où est convoqué Georges pourrait être un bureau spécifique dans une organisation administrative structurée, pourtant toutes les sections telles qu’indiquées sur les post-it notifient tout type de décision. « D1 » ne laisse pas présager du caractère positif ou négatif de la décision, ou même, bien plus souvent, cela aboutit à la notification d’une nouvelle date d’entretien, qui prolonge d’un an au moins le séjour dans le camp.
Un an de plus dans ce camp… certains tiennent grâce au sport. Une équipe de foot s’est formée sur le camp, toutes nationalités confondues, avec son entraineur, son terrain prêté par un village voisin, et même des matchs organisés avec les équipes locales ! Pour ceux qui ont la chance d’y participer, c’est un moment de communion collective et le meilleur antidote à la dépression.
La religion a également une grande importance, pour le meilleur et pour le pire. Les Chrétiens se réunissent, dans les champs d’oliviers, pour chanter et prier ensemble. L’invocation de Dieu, qui est le maître de leur destin et les protège, est fréquente. L’un me dit : « Si au jour de ma mort Dieu m’envoie en enfer, je lui dirai : Mon Seigneur je viens de l’enfer, j’étais au camp (hotspot) ! ». Une grande tente des Nations Unies est aménagée en mosquée. Syriens et Afghans ne s’y mélangent pas, ils n’ont pas les mêmes coutumes. Les uns fument et boivent de l’alcool, ce que ne supportent pas les autres. C’est souvent l’origine des bagarres.
Un an de plus dans le camp, c’est surtout un nouvel hiver dans le camp. On imagine que rien n’est pire que cette chaleur accablante, pourtant tous ceux qui étaient là l’hiver dernier redoutent le prochain comme une punition divine. La température descend au-dessous de zéro et ni les vêtements superposés, ni les maigres couvertures ne viennent à bout du froid qui éloigne le sommeil. Certains containers ont rassemblé une cagnotte destinée à l’achat d’un petit chauffage d’appoint, qui n’a pas fonctionné à cause des coupures d’électricité. Surtout, dès l’automne, la pluie transforme le camp en un immense champ de boue.
Photo by Noah Silliman on Unsplash
Et tous ces enfants, ces milliers d’enfants piégés là, qui ne prendront pas à l’automne le chemin de l’école mais celui de leur container, en attendant des jours meilleurs.